Combler le jour, Marion Flament à la galerie Romero Paprocki,
du 23 novembre au 11 janvier 2024

Marion Flament, A sombra do cavalo, 2023,
© Hugo David

Au-delà du visible

Du 23 novembre 2023 au 11 janvier 2024 , la galerie Romero Paprocki présente Combler le jour, le solo show de Marion Flament. L’artiste matérialise la lumière à travers différents médiums. Brûlure qui fait fondre ou rayon qui traverse, la lumière marque et révèle. L’élan théâtral de la mise en scène ménage une place particulière à l’histoire du temps qui passe, des images qui l’habillent et le hantent.

Marion Flament aime jouer sur les mots. D’une part, elle fouille les ambivalences du jours. Dans cette exposition Combler le jour, Marion Flament approche le jour à travers l’une de ses acceptions : celle du vide, du petit trou, matière ajourée qui laisse passer la lumière dont on tire des formules poétiques.

Mais elle s’appuie aussi sur la polysémie du mot combler qui désigne de proche en proche les combles : cette partie de nos maisons où la lumière retenue, filtrée, éclaire les objets oubliés. Empreinte du passé, les choses entreposées sous les toits pêlemêle, continuent d’exister. Ce sont nos fantômes, enfouis dans nos maisons et comme dans nos mémoires. Aussi, l’artiste file volontiers l’analogie : si l’anatomie de nos logis ressemblent à la structure du corps humain, alors les combles, tout au sommet, sont notre esprit, soit la place de notre imaginaire.

Ainsi, hantées par nos présences, les maisons sont les racines et les identités de ceux qui les habitent. Elles syncrétisent ce qui fut et ce qui est. Pour cette exposition, Marion Flament met en scène ses œuvres à l’orée de cette multiplication des sens. Toutes les créations se complètent et se répondent pour reconstituer dans la lumière, tout un habitat. C’est un projet d’envergure.

La porte d’entrée, point de jonction entre ce qui est caché et ce qui est révélé, est ornée d’une œuvre en verre coulant qui capte la lumière : le ton est donné, la lumière, agent révélateur, éclaire le passé, le passage et la métamorphose.
Dans la grande salle, les œuvres de Marion Flament prennent de l’ampleur et s’accordent à l’architecture de la galerie. Une grande installation en verre peint est accolé à la baie vitrée. La lumière est filtrée par la couleur, elle change l’atmosphère et donne un tour théâtral à la reproduction d’une portion de charpente. Et, pour prendre encore un peu plus de hauteur et surplomber le passé, l’artiste place tout près une échelle.


Marion Flament cherche les effets de contraste. Elle illustre les points de tension qui mettent en valeur les deux parties qui s’opposent. De fait, le haut et le bas, l’ombre et la lumière se répondent. Aussi, la lumière qui rencontre les objets génère une autre forme. Voilà l’ombre. L’image est complète. Mais alors que regarder ?
 Dans la pièce plongée dans l’obscurité, les créations de l’artistes sont suspendues. Elles sont parcourues par les rayons du film projeté. L’œil est naturellement attiré par la lumière. Mais, rapidement, il s’en détourne pour regarder les ombres. Elles font le spectacle, elles dansent. Les ombres sont le sujet, empreinte d’un passage, synthèse de la lumière et de l’œuvre.


Bad Ems, Alexandre Bravard à la galerie Romero Paprocki,
du 10 février au 20 mars 2024

Alexandre Bravard, Bad Ems,
© Allison Borgo

La comédie humaine :
des masques qui collent à la peau

Du 10 février au 20 mars 2024, la galerie Romero Paprocki présente l’exposition personnelle d’Alexandre Bavard intitulée Bad Ems. Alliant les arts plastiques aux arts scéniques, cette exposition est théâtrale. L'art d'Alexandre Bavard célèbre l'énergie brute de la société. Lors de cette exposition, le spectateur sera zieuté par une foule de masques de théâtre antique, écaillés et réparés et de personnages saisissants. L’artiste revisite les mythes et l’Antiquité pour présenter autrement la notion de justice. Cet échange de coups d’œil permet d’abolir le temps pour saisir l’engagement social qui est l’essence de l’Homme.

L’art d’Alexandre Bavard est un art total, seul capable d’embrasser la société sans en trahir l’image, seul capable d’en capter l’énergie sans la minorer. Car ce qui compte, c’est l’énergie. Bien que ses œuvres semblent décharnées et les formes qu’il porte au nu sont esquintées, elles expriment la vitalité à travers la déchirure et la lutte. Dans l’extrême, on sent battre le pouls. Alexandre Bavard, dans les points de tensions et la violence, chante la puissance et saisit mieux la vie.

Pour un art total

Alexandre Bavard a une patte très reconnaissable : il accorde les différentes meurtrissures des corps offensés et compose un chant à partir du chaos. 

Son art est total. Il est semblable au Gesamtkunstwerk, un courant artistique allemand, porté notamment par Richard Wagner dans les premières années du XXème siècle. Cet art refusait le cloisonnement qu’il jugeait mortifère : en distinguant les arts, l’artiste ne présente que des fragments de vie. L’art total est plus ambitieux. Il tend à en illustrer toutes les facettes en un coup, pour unifier dans la représentation l’art et la vie. Alexandre Bavard, développe cette pensée et tend à en saisir la chaleur et le caractère pur. Pour cela, il multiplie les medium : il taggue, dessine, colle, sculpte et performe.

Le graffiti : le premier amour dure toujours

Pour autant, le graffiti est son premier amour. Il n’a d’ailleurs jamais quitté son pseudonyme Mosa87, qu’il utilise quand il taggue. Ainsi, l’âme de la rue habite encore ses créations, le geste du taggeur s’inscrit toujours dans sa pratique. Il voit dans ce geste d’ailleurs, une chorégraphie qu’il reproduit et développe dans ses œuvres. Et puis, il rencontre ses muses dans la rue : c’est là qu’il collecte les objets délaissés et les images qu’il fixe dans le silicone.

La ville comme scène et sujet

Dans cette exposition, la rue a encore son mot à dire : les œuvres d’Alexandre Bavard sont composées ou recomposées à partir d’une mousse qui s’expand qui rappelle la pratique de l’aérosol. Sillonnant la ville, l’artiste observe la comédie humaine, et transpose le jeu social dans le domaine plastique. Il se focalise sur les points de tension. Bad Ems vante les déchirures car les chairs mutilées expriment mieux une vie en plusieurs actes. Elles montrent ce qui a été et ce qui est. Le flux vital est ce qui meut l’artiste.

Les coups de théâtre

Les œuvres exposées, comme un deus ex machina, ménagent des coups de théâtre. Ceux-ci ne sont pas seulement pensés pour « amuser la galerie », mais bien pour mettre le doigt sur un engagement social, violent souvent, qui est au cœur de la pulsion de vie. Il s’est notamment inspirée d’Antigone de Sophocle, figure de résistance héroïque, à corps perdu dont on voit les résurgences dans les visages défaits. L’artiste multiplie ces figures, il crée un drôle de chœur qui, cette fois-ci, ne fustige plus l’hubris. Parce que l’hubris, la passion à son comble, est un bouillonnement qui concentre l’énergie de vie.

L’art du décalage

En effet, l’artiste se plait à opérer des déplacements. Voilà sa poesis : sa création est une récréation, un déplacement nécessaire qui permet de mieux saisir l’image de la vie. Sans ciller, le personnage bouffon jettera sa réplique à la face de Zeus. Les mythes sont rejoués, les cartes sont rebattues. La catharsis prend forme, à nouveau. Et Alexandre Bavard lui donne plus de vigueur en y ajoutant une touche d’absurde et d’humour. Car les êtres décharnés ne sont pas tout à fait morbides : ils sont drôles. Enfin, le décalage est inscrit aussi dans le choix du matériau. La mousse expansive, utilisée dans le bâtiment, crée des formes intestines et permet de désamorcer le drame : elle le rend plus digeste, bien qu’elle mette les tripes à nu.

L'exposition Bad Ems offre de jolis coups de théâtre. Ils sont un divertissement, mais ils illustrent surtout un engagement social, image franche d’une pulsion de vie. Les points de tensions inscrits dans la peau des personnages exposés, génèrent une réaction. La déchirure est un mouvement, alors elle n’affaiblit pas seulement, elle concentre l’énergie. L’art d’Alexandre Bavard prend de l’ampleur dans les décalages : l’artiste qui altère les références communes écorche les mythes pour réviser la notion d’héroïsme, et montrer cru l’énergie.


Oasis d’Abondance, Enfant Précoce à la 193 Gallery,
du 2 mars au 27 avril 2024

Enfant Précoce, Oasis d'Abondance, Titty et Coucou au marché, 2024, 156x180cm

Du 2 mars au 27 avril 2024, la 193 Gallery présente Oasis d’Abondance, le solo show d’Enfant Précoce. L’artiste qui manie si bien la couleur pour chanter dans l’éclat et la joie, la dynamique des corps, expose ses tableaux pour la première fois en galerie. Son écriture enfantine est sa signature. Il cultive l’ingénuité du regard de l’enfant, libre de dire ce qu’il pense, spontanément, et qui sait tirer de la joie et de la légèreté de tout. Pour sa première exposition, Enfant Précoce évoquera la résilience des migrants et de leurs descendants. Il mettra en lumière le courage et la force formidable et silencieuse de ceux qu’on oublie de voir.

Enfant Précoce peint dans le même temps, la réalité et le rêve. Son inspiration s’aiguise dans les sujets d’actualité. Ses œuvres défendent chacune un propos, évoquant les choses communes qui ponctuent nos vies et les grands bouleversements qui les débordent. Ainsi, pour cette exposition, la touche bigarrée de l’artiste offrira une voix pour relayer celles que l’on n’entend pas, et un corps à ceux que la société invisibilise. Enfant Précoce évoquera le fantasme de l’Europe, une utopie pour ceux qui fuient un pays qui a cessé de les considérer, et l’effondrement du rêve. Parce que la France est loin d’être l’Eldorado supposé.

Pour évoquer le drame, l’artiste a peint une série de tableaux qu’il regroupe sous le titre Oasis d’Abondance. Il s’appuie ainsi sur un paradoxe : l’oasis est un point fertile et miraculeux, borné par le désert, tandis que l’abondance s’offre sans limite, dans la profusion. L’oasis n’a plus lieu d’être dans l’abondance. Les populations qui migrent en France croient pouvoir trouver enfin, la prospérité. C’est un mirage. Et puis, il y a peu, Emmanuel Macron sonnait le glas de l’abondance, appelant à des privations que subissent depuis longtemps les populations immigrées. Enfant Précoce s’est focalisé sur cette ambivalence. Avec cette série, et pour sa première exposition en galerie, il évoque à travers l’opulence onirique et la privation forcée, le quotidien difficile des immigrés.

Il tend à porter haut ce message, appelant à regarder ceux qui sont essentiels pour notre société et qui souffrent d’un système qui les exploite et les cache à la vue. Il tient à les illustrer non pas seulement dans le drame, mais surtout dans leur résilience, qui fait leur dignité et leur force.

Pour les présenter, il se plaît à allonger les formes, à assouplir les contours. Tout tournoie et ondule. C’est ainsi qu’il introduit le rêve. L’actualité est passée au tamis, Enfant Précoce la distord dans la couleur. 

Les corps sont serpentins. Ils se superposent. Le peintre qui abolit les angles et les arêtes, clame la liberté dans la souplesse des lignes et des formes. Affranchies de la pesanteur, de la perspective et de la proportion, sans entraves, elles dansent. Le style de l’artiste s’élabore dans la liberté, dans la candeur et la joie. Selon lui, « les yeux d’un enfant ne voient pas le mensonge » ; il est possible donc, d’aborder tous les sujets, des plus légers aux plus graves, par un prisme diapré.

Les œuvres sont toujours figuratives et se distinguent par une composition forte : tout est central. Enfant Précoce suit son instinct, assortissant la désinvolture et la hardiesse.

Les couches épaisses de couleurs pures sont harmonieuses. Elles modèlent les corps : sans ombre, le peintre parvient à donner un volume aux corps bidimensionnels en conjuguant les aplats de teintes chaudes et froides. Enfant Précoce lie les antagonismes, cela fait sa force. Voilà son style et son histoire.